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« New National Kid » de Suehiro Maruo

New national kidNew National Kid paru cette année est un recueil de courts mangas édités dans les années 80 dans diverses revues et magazines japonais (certains pornographiques, d’autres pas…). Mais comme toujours, Maruo n’est pas qu’un auteur d’ero-guro, mais aussi un maître du gore, du bizarre et de l’irrévérence, avec un style plus que jamais expressionniste !

On ressent bien la mixité des magazines dans lesquels ces mangas ont été publié à leurs lectures : des formats de une à trente pages, et des thématiques variées tournant autour des univers du cauchemar et de la folie, de la Seconde Guerre Mondiale et du nationalisme, de la grossesse et de la monstruosité
Ce recueil fait plus que jamais penser à un défouloir où se mêlent humour noir et angoisses surréalistes. Comme nous somme face à des formats courts, on s’éloigne la plupart du temps de narrations compliquées pour se concentrer sur des impressions, comme la manière dont un personnage se rend compte qu’il est mort… Ou bien encore on est dans le quasi comic-strip sur une ou deux pages, où un Michael Jackson explose en plein « Bad » ! Le niveau est assez inégal je dois l’avouer… Je me demande parfois où l’auteur a voulu aller. Je met ça sur le compte du fossé culturel entre l’Orient et l’Occident !

Si ces formats courts m’ont un peu moins plu que d’autre mangas de Suehiro Maruo au niveau récit, côté graphismes c’est assez puissant ! On retrouve des travaux de dessin et de typo qui rappellent vraiment l’expressionnisme, que ce soit en art plastiques ou au cinéma. On pourrait citer des dizaines d’artistes auxquels Maruo fait référence (Bacon, Van Gogh, Otto Dix, Ensor, Ernst, Fritz lang…) et on en oublierait les trois quarts !
Ce qui me plait particulièrement dans New National Kid vient peut être du mélange de styles que Maruo met en place : dessins académiques pour certains personnages, qui empruntent au manga classique, au théâtre Nô, aux images populaires guerrières… Mêlés à l’énergie de certains traits et cadrages, à des scènes crues où on se surprend à tourner les yeux, à des déformations qui font plus penser à un travail de peinture qu’à du dessin…

New National Kid

Un bon manga à lire pour les fans de Suehiro Maruo… Pour ceux qui ne le connaissent pas, je ne pense pas que ce soit par contre la meilleurs porte pour accéder à l’œuvre de cet auteur que j’adore ! Un peu trop fractionné je pense pour un début… et ses histoires ne sont pas les meilleures. Tournez-vous plutôt vers L’enfer en bouteille ou Vampyre pour le découvrir !

« L’enfer en bouteille » de Suehiro Maruo

l-enfer_en_bouteilleJe suis plus que jamais fan de Suehiro Maruo et de son style érotico-grotesque (« ero guro » pour les intimes) qui est toujours sur la brèche de l’horreur pure, sans tomber dans le gore.
Dans ce manga, quatre nouvelles dessinées qui nous présentent des pans différents de son art.

L’enfer en bouteille est mon histoire favorite du recueil : érotisme et tension, dans un récit tiré d’une nouvelle de Kyusaku Yumeno.
Trois pages manuscrites sont retrouvées dans des bouteilles de bières jetées à la mer. On suit à la lecture de ces lignes les aventures d’enfants – un frère et une sœur – échoués sur une île déserte… Enfants qui deviendront bientôt des adolescents en pleine pubertés, tiraillés entre le désir et le tabou de l’inceste, qui se transforment alors en pulsion de mort. Le vert Eden de l’île se transforme bientôt en enfer pour ce couple…

Dans ce manga, on retrouve l’attrait de Maruo pour les récits traditionnels japonais, comme dans Les dix gâteaux de la fortune, qui reprend une histoire classique du théâtre japonais : un masseur aveugle a amassé une fortune qu’il cache et que tout le monde lui envie… son voisin va tenter de découvrir où, a ses risques et périls.
L’auteur s’intéresse aussi aux contes occidentaux, comme sa version de La tentation de Saint Antoine le prouve ! Les pérégrinations délirantes du moine sont pour lui l’occasion de revisiter ce mythe, dans un style que Dali ou Bruegel n’auraient pas renié !

L'enfer en bouteille

Surréalisme et art déco sont au rendez-vous, avec une touche de noirceur extrêmement esthétique dans ces quatre récits… Et son attrait pour le sordide, les monstres et les personnages en marge de la société se retrouve dans la dernière nouvelle illustrée : Pauvre grande sœur. Ici une jeune fille tente de survivre en se prostituant, accompagnée de son petit frère attardé… Elle fuit un père violent qui voulait la vendre et qui souhaitait couper les membres de son frère pour en faire un monstre de foire… Tout un programme !

Voici donc une très belle édition parue cette année, et préfacée d’un texte de Moebius datant des années 90, époque ou Maruo n’avait pas encore connu le succès en France. Cet incipit du pape de la BD française m’a ouvert les yeux sur ma passion pour cet auteur de manga ! Maruo tel un enfant en pleine crise de rage n’a pas peur de se faire mal, et par conséquent de faire mal au autres… et c’est cette authenticité, cette plaie qu’il nous force à regarder qui est si fascinante. Un petit texte court et très intéressants pour mieux comprendre l’œuvre transgressive de Maruo !

Comme d’habitude, je vous invite à découvrir Maruo, au delà des clichés ero-guro… Pour ma part il me reste encore quelques uns de ses mangas à étrenner… Youpi ! 😀

« La chenille » de Suehiro Maruo

Je n’ai pas pu résister à l’envie d’approfondir un peu ma découverte de l’oeuvre de Suehiro Maruo, après la lecture deVampyre et La jeune fille aux camélias… J’ai opté cette fois pour La chenille, qui semblait très très bizarre et dérangeant à en lire les critiques sur le Web. De l’eroguro (style érotique grotesque) dans toute sa splendeur en somme !

La chenille est l’adaptation graphique du roman d’Edogawa Ranpo édité en 1929… Pour l’anecdote, si je vous dit que son nom est l’anagramme d’Edgar Allan Poe, ça vous donne quelques informations quant à ses goût littéraires 😉

Autant dans le roman que dans la manga, qu’ensuite dans son adaptation cinématographique de Hisayasu Satõ (Rampo Noir : The Caterpillard), La chenille raconte l’histoire du lieutenant Sunaga revenant de la guerre totalement mutilé : amputé des bras et des jambes, il est de plus devenu muet et sourd. Sa femme Tokiko va devoir s’occuper de lui, autant pour sa survie que son plaisir…

Ce manga est très dérangeant, et marque l’esprit… Il y a bien entendu son côté obscène, à la surface du récit,  dans la sexualité de Tokiko avec son mari devenu un homme-tronc, qu’elle voit comme un insecte, une chenille, juste capable de ramper et dévorer. Il peut à peine communiquer avec un petit crayon tenu dans la bouche, et griffonner des mots sur un cahier.
Tokiko prend peu à peu l’apparence d’une femme cherchant la satisfaction dans cette domination de son amant, devenant un objet de plaisirs et fantasmes, et tombe dans une sorte de perversion.
Mais au final, quand on y regarde de plus prêt, elle la seule à considérer encore son mari comme un être « encore » humain, que ce soit par ses soins (le laver, le torcher, le nourrir…), ou ses attentions (chercher à lui faire plaisir en lui montrant ses médailles, ou en lui faisant l’amour…), mais aussi dans ses colères.
Tous ceux qui admiraient et soutenait avant la guerre le lieutenant Sunaga maintenant le fuient et ont peur de ce que la guerre à fait de lui : sa famille et ses amis ne viennet pas le voir, l’armée lui verse une pension dérisoire pour ses bons services, … Seule son épouse est son lien vers le monde. Bref, La chenille nous met en face de l’homme et de sa solitude… et de se qu’on est prêt à accepter par amour ou par honneur.

Une lecture intéressante, dont le thème m’a pas mal trotté dans la tête… De plus c’est un véritable plaisir de retrouver les dessins et l’univers de Maruo ! C’est pas bon pour ma PAL, mais ça me donne envie de découvrir Ranpo en tant qu’auteur pour le coup… 😉

« Vampyre » de Suehiro Maruo

Comment expliquer l’art de Suehiro Maruo sans prendre de raccourcis ?

J’ai découvert cet auteur lors de mon passage à la Japan Expo l’été dernier, et j’ai essayé dernièrement de prêter son manga La jeune fille aux camélias à Petite Fleur en lui disant « Lis ça, tu va voir c’est bizarre »… ne sachant pas comment l’expliquer ou le résumer autrement. A priori la sauce n’a pas pris. :-/ (voir son article)
Au moins j’aurais appris que ce genre de manga est appelé Eroguro, mouvement artistique japonais qui mélange grotesque et érotisme.

Pour Vampyre (manga en deux volumes), c’est un peu pareil… comment le définir ?
C’est bizarre, autant dans le sens « étrange » que l’on connait, que dans le sens que John Willie pourrait lui donner. Mais c’est le terme que donne Hiroshi Aramata en postface de ce diptyque qui le défini peut être le mieux : « Grand Guignol », qui composé par « les bas-fonds de la société et cruauté ». On est un peu dans Justine de Sade, dans le rock à la Alice Cooper, dans Freaks de Tod Browning, dans l’esprit de Junji Ito… entre surréalisme et ridicule, teinté par les pires sentiments humains. Le fond de la cuvette du monde en fait

Côté histoire, il est effectivement question de vampires : Môri, jeune lycéen devient vampire après que la peu attrayante Rakuda Onna, âgée de 130 ans, lui ait fait boire son propre sang. Pour lui va commencer la lente transformation vers l’état de vampire en tant que tel : intolérance au soleil et dégoût de la lumière, une soif de sang de plus en plus prenante, et surtout le détachement envers les humains qui deviennent juste des sources de nourriture et de plaisir. On voit Môri devenir peu à peu un prédateur.
En parallèle, Luna, lycéenne fréquentant le même établissement que Môri, est confronté à son statut d’adolescente (enfant / femme) et à la sexualisation des filles de son âge : vente de petites culotte pour se faire de l’argent de poche, prostitution,… Toutes ces choses lui font horreur, et elle les rejette violemment.
Bien entendu, Luna et Môri vont se rencontrer une nuit…

Les deux volumes sont axés autour de deux histoires et univers un peu différents.
Dans le premier, on tourne plutôt autour de l’univers du lycée et de l’adolescence : violence, drogues, sexe bien entendu, la métamorphose de l’enfant qui joue à des jeux d’adultes… On suit l’évolution des personnages de Luna et Môri, coaché par Rakuda Onna, mais aussi l’histoire d’un jeune incendiaire.
Dans le deuxième volume, le temps à un peu passé, et les personnages et leurs relations plus installées. Les relations entre Luna et Môri sont moins au centre du livre, on s’intéresse plus à l’histoire de Makoto, lycéen qui recherche sa jeune sœur disparue 8 ans auparavant. Ce volume joue moins sur l’érotisme, mais plus sur la violence, que ce soit par l’apparition d’une nouvelle troupe de vampires cruels, et comme théâtre des hostilité un club SM.

Ce que j’adore dans ces mangas, c’est l’aspect graphique et l’univers imaginé par Suehiro Maruo, le découpage des cases, le dessins, le rythme de l’histoire, le côté gore et poétique… On ne sait pas trop parfois à quelle époque on se situe, entre notre monde contemporain et ce qui pourrait être l’après guerre.
Sinon l’objet en lui même est une belle édition, format demi A4… seul truc bizarre, c’est que la couverture illustrée est sur le côté gauche (à l’européenne), alors que le sens de lecture est bien de droite à gauche (à la japonaise, ouf !). Pas très logique o_O.

Bref, je le conseille pour tous ceux qui aime découvrir des univers étranges. On est dans un manga un peu plus « narratif » que La jeune fille au camélias, ce qui peut aider à rentrer dans l’univers de ce mangaka. Pour ma part, je vais vite voir s’il y a d’autres mangas de Suehiro Maruo édités en français ^^.