« La conjuration des imbéciles » de John Kennedy Toole (Etat de la Louisiane)
Double combo pour mes lectures de challenge : La conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole me permet de remplir mon contrat depuis longtemps prévu du challenge « Année de naissance » (1980), pour lequel j’avais acheté ce livre, et le challenge « 50 états, 50 billets » (Louisiane).
Ignatius J. Reilly, ancien étudiant en histoire médiévale, vit avec sa mère à la Nouvelle-Orléans… Philosophe et écrivain méconnu, obèse, vierge et hypocondriaque, il sort rarement de chez lui, ne travaille pas, et coule des jours heureux. Jusqu’au jour où un quiproquo pas possible va l’obliger à devoir aller travailler pour aider sa mère à rembourser un milliers de dollars. Stupeur, tremblements : comment cet handicapé social très intelligent va-t’il réussir à trouver et garder un emploi ? Pour lui même, ça sera un exploit !
On suit Ignatius dans ses aventures dans le milieu du travail américain des années 60, mais aussi une dizaine de personnages qui ont croisé sa route au cours de ses pérégrinations.
Humour, quiproquos, le tout passé au filtre du regard critique et cynique d’Ignatius, qui semble tout droit sorti d’un autre siècle ! Il aurait plus eu sa place dans un monastère à écrire ses mémoires tel un ermite, que dans les Etats-Unis de la surconsommation, dans un climats social qui hésite entre ultra-politisation et médias de masses.
Une lecture bizarre, il n’y a pas à dire… Mais j’ai le sentiment que je vais m’en souvenir un petit moment !
Ignatius m’a fait pensé à quelques personnes que je connais sous certains aspects… et pourtant, c’est un personnage exécrable à bien des niveau : il vit au crochets de sa mère, refuse d’aller travailler ou de sortir de la Nouvelle-Orléans, est hypocondriaques et souffre continuellement de « son anneau pylorique », mange comme 10, rejette la faute de tout ses malheurs et échecs sur les autres, regarde les émissions TV ou films au ciné non par plaisir mais pour cracher dessus… Bref, méprise tout ce qui l’entoure ! Mais en même temps il a une philosophie de la vie qui s’entend : il refuse de faire comme tous le monde, veut vivre libre à sa façon, et préfère vivre en dehors de la société américaine plutôt que de se corrompre. Finalement, en quoi serait-il moins dans le vrai que nous ? Mais une chose est sûre, là où il passe, se créent un maximum de problèmes…
Histoire d’enquiquiner son ancienne copine de fac Mirna, qui s’engage dans la politique et les arts à New-York, il se lance à son tour dans les morceaux de bravoures politisés ! Hésitant entre royalisme, piquets de grève avec des employés de couleur, cause homosexuelle… il brosse un tableau de la ville et de ses quartiers au travers son regards et son esprit si cinglant.
La phrase d’intro de Swift nous renseigne rapidement sur le fond du livre : « Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on le peut reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui ». Et on passe son temps à se remémorer cette phrase… Ignatius est-il un génie incompris, ou le roi des imbéciles, ou encore les deux à la fois … ? Un vaste sujet, qu’on peut resservir dans les dîners mondains à propos de tout et n’importe qui 🙂
Mais ce qui donne encore plus d’intensité au livre, c’est de savoir comment il en est venu à être édité… C’est la mère de John Kennedy Toole qui l’a amené à être publié en 1980. Son fils avait initialement écrit ce livre dans les années 60, mais désespéré de ne jamais se faire publier, se suicide en 1969. Le parallèle Toole / Ignatius est peut être facile, mais il m’a trotté dans la tête durant ma lecture. Et quand on sait que le romancier a reçu un prix Pulitzer à titre posthume, on ne peut réfléchir à cette histoire de génie et d’imbécile sans se gratter la tête…
Bref, il y en a des choses à dire sur ce livre, que j’ai vraiment beaucoup aimé, et qui m’a d’hors et déjà marqué. Au début je le comparait à un Wilt américain, mais c’est encore plus que cela : un vrai hymne à un mode de vie hors des sentier battu, qui peut générer des heures de réflexions, et le tout dans un langage parfois très soutenu, parfois des rues… Un roman bien construit, intéressant, drôle, enrichissant sans être prise de tête. Une photographie de la société américaine, et occidentale, qui est toujours d’actualité !
Ce roman dépeint la Nouvelle-Orléans, ville la plus peuplée de l’état de Louisiane, dont la capitale est Bâton-Rouge (où Ignatius va effectuer son seul de sa vie voyage en bus…).
Le lecteur des plus averti remarquera dans le roman et sur la carte de l’état une avalanche de nom d’origine française ! Et bien c’est normal, car la Louisiane a une longue histoire avec la France… et ça n’est pas pour rien que nous pouvons appeler les Cajuns « nos cousins » du Nouveau Monde 😉
A l’origine, la région de la Louisiane, située à l’ouest du fleuve Mississippi, est habitée par diverses tribus amérindiennes. Après l’arrivé des premiers explorateurs, ils seront rapidement colonisés, comme partout ailleurs dans le nord de l’Amérique…
C’est René Robert Cavelier de La Salle, explorateur français venu du territoire de la Nouvelle France, qui en 1682, descend le Mississippi et annexe la Louisiane. Il nomme cette région autour du Mississippi « Louisiane », en hommage au roi Louis XIV. Elle se retrouve donc rattaché au grand territoire français : la Nouvelle France occupe tout le Middle West, le sud des futurs USA et l’Est du Canada… et toute la partie se trouvant hors du Canada est alors la Louisiane, divisé en Haute et Basse Louisiane. Un territoire gigantesque et sauvage !
La Louisiane est rapidement revendue à des notables et riches commerçant français pour devenir un centre d’échange commerciaux important dans cet endroit du globe. Il devient aussi un point de départ pour l’exploration d’autres parties de l’Amérique. Avec cette économie qui commence à devenir florissante, les premiers esclaves débarquent en Louisiane en 1713, accompagnant une grande vague d’immigration. La Nouvelle-Orléans est fondée en 1718, en l’honneur du régent Philippe d’Orléans.
Mais les compagnies commerciales ont du mal à garder la Louisiane, et la couronne française récupère ces terres en 1731, avant de les perdre au profit des espagnols en 1762. En 1800 la France la re-récupère, mais Napoléon Bonaparte la vendra en 1803 aux tout jeunes Etats-Unis, un peu pour réparer les dégats générés par les pirates français contre les navires de commerce américains… Une fois en leur possession, ils réduiront la taille de l’Etat à celle d’aujourd’hui.
En 1812, la Louisiane rejoint l’Union, bien que peuplé majoritairement de Cadien ou Cajuns (descendant français), de Créoles, de Français et d’Espagnols. Etat esclavagiste, la Louisiane sera du côté des états Confédérés lors de la Guerre de Sécession.
L’anglais est loin d’être la langue la plus parlée alors, et à partir de la moitié du 19ème siècle, le gouvernement des Etats-Unis fera tout sont possible pour imposer l’anglais comme langue officielle, avec l’interdiction de parler français dans les écoles et administrations. Mais l’état et ses habitants n’ont pas oublié leurs origines francophone : 5% des habitants parlent encore français (ou plutôt un dialecte français). A partir de 1968, poussé par la volonté de sauvegarder cette particularité linguistique et culturelle, le gouvernement de Louisiane rend au français ses droits : la langue française devient seconde langue officielle de l’état.
Aujourd’hui, la Louisiane est un état du Dixieland, comme l’Alabama ou la Géorgie, et est plutôt conservateur.
Cela peut paraître surprenant, vu les multiples influences culturelles de ses habitants… un vrai melting-pot ! La Nouvelle-Orléans est la ville des Etats-Unis ayant la plus grande communauté noire : 67% de la population !
Il suffit de voir la réputation de leur cuisine pour être invité au voyage et à la découverte : écrevisses, jumbalaya, épices, … Sans oublier que la région de la Nouvelle-Orléans est célèbre pour son histoire musicale : jazz, country, blues…
Enfin cela n’empêche pas la ville de la Nouvelle-Orléans de bénéficier d’un record moins réjouissant, celui d’un des plus fort taux d’homicide du pays…
Bref, un état pour moi à visiter de toute urgence, entre autre pour sa cuisine que ses lointaines relation à la France 🙂
Hop, billet doublement ajouté !